samedi 2 décembre 2017

Rivières du Hurepoix: la BIEVRE, la rivière disparue.

La Bièvre à Igny vue par Antoine Chintreuil -1853

                            La Bièvre, rivière du Hurepoix.
On le sait, la Bièvre est l'une des rivières du Hurepoix. Longue de 34, 6 km de long, elle prend sa source à Guyancourt, dans un quartier qui correspondait autrefois aux terres de l'ancienne ferme royale de Bouviers, et  elle rejoignait primitivement la Seine au niveau du pont d'Auzterlitz. Aujourd'hui elle se jette dans le collecteur principal des égouts de Paris! A sa source, elle est à 159 m de hauteur, et à 37 m au confluent avec la Seine. De nombreux moulins parsemaient son cours. Il n'y en avait pas moins de 24 , en comptant ceux de ses affluents.
        
Moulin sur la Bièvre à Arcueil.
                                              
Le mot "bièvre" vient peut-être de "biber" qui signifie "castor" (animal disparu de la région depuis le 13e siècle) ou de "beber" qui signifie "brun", ceci renvoyant à la couleur de ses eaux.
C'est pour la qualité des eaux de la Bièvre qu'Oberkampf crée en 1760 à Jouy en Josas la manufacture fabriquant la célèbre toile de Jouy. Pour contrôler cette qualité, il avait pris soin d'ailleurs de se rendre acquéreur des terres, à Guyancourt, où se trouvait la source de la rivière.
Le charme de la haute vallée de la Bièvre était encore chanté en 1831 par Victor Hugo dans son poème intitulé justement: La Bièvre. Il faisait à cette époque de fréquents séjours au château des Roches à Bièvres, chez son ami Bertin, directeur du Journal des Débats.

Une rivière au fond ; des bois sur les deux pentes.
Là, des ormeaux, brodés de cent vignes grimpantes ;
Des prés, où le faucheur brunit son bras nerveux ;
Là, des saules pensifs qui pleurent sur la rive,
Et, comme une baigneuse indolente et naïve,
Laissent tremper dans l'eau le bout de leurs cheveux.

Là-bas, un gué bruyant dans des eaux poissonneuses
Qui montrent aux passants lés jambes des faneuses ;
Des carrés de blé d'or ; des étangs au flot clair (...)


Oui, c'est un de ces lieux où notre coeur sent vivre
Quelque chose des cieux qui flotte et qui l'enivre ;
Un de ces lieux qu'enfant j'aimais et je rêvais,
Dont la beauté sereine, inépuisable, intime,
Verse à l'âme un oubli sérieux et sublime
De tout ce que la terre et l'homme ont de mauvais !
La Bièvre - Extraits. 1831.

Elle a aussi inspiré des peintres, comme le paysagiste Antoine Chintreuil (1814-1873 ): entre 1850 et 1857, il fait de nombreux séjours à Igny, où il retrouve son maître Corot. Il réalisera pas moins de 138 tableaux d'Igny et de la Bièvre. Il a su rendre notamment la poésie de ce paysage aux premières heures du jour et  à la tombée de la nuit, ce qui lui jouera d'ailleurs un mauvais tour, car la fraîcheur de ces moments lui vaudra d'attraper une pleurésie dont il ne se remettra jamais vraiment...

La Bièvre à Igny représentée par Antoine Chintreuil: Soir d'automne.1853.

Les étangs de la Minière à Guyancourt  créés au XVII e siècle à partir de ses eaux pour alimenter les fontaines de Versailles et réguler le cours de la rivière (elle sortait volontiers de son lit) sont encore aujourd'hui un lieu de promenade très apprécié dans la région.

Les étangs de la Minière en automne.

                                                     La rivière disparue.
Au XIXe siècle, en raison notamment des produits rejetés dans son eau par les nombreuses blanchisseries, tanneries, teintureries  qui se sont installées sur ses rives, sans compter les déchets des abattoirs ou des hôpitaux, elle devient vite un égout nauséabond à ciel ouvert, et elle va être canalisée et recouverte sur la plus grande partie de son cours entre 1864 et 1935.

Blanchisseries à Arcueil-Cachan au bord de la Bièvre.

Elle n'est restée à ciel ouvert que jusqu'au parc Haller à Antony.
La Bièvre est donc restée à l'air libre dans des communes comme Jouy en Josas, Bièvres, Igny, Verrières le Buisson ou encore Massy. A Fresnes, L'Hay les Roses, Cachan, Arcueil, Gentilly et Paris elle était couverte.

                  Vers une remise à l'air libre de la rivière?      
Certaines portions de son cours viennent d'être découvertes: un tronçon de 300 m à Fresnes depuis 2003, ce qui a entraîné la création du parc des Prés de la Bièvre,  et de 600m à L'Haÿ les Roses depuis 2016, le long de l'avenue Flouquet.
A Paris, des projets dans ce sens ont été envisagés, mais n'ont pas  abouti pour l'instant en raison notamment des coûts nécessaires.

Parc des prés de la Bièvre à Fresnes: un exemple de remise à l'air libre de la rivière.

           SUR LES TRACES DE LA BIEVRE A PARIS.
Ici, nous sommes encore dans l'ancien Hurepoix, qui, on en a la preuve, comprenait jadis toute la rive gauche de la Seine. Rappelons que la Butte aux Cailles faisait encore partie de Gentilly, ville du Hurepoix, jusqu'en 1860.
A Paris, pour l'instant, la Bièvre reste enfouie, et souvent profondément . En effet dans le 13e, un comblement important de sa vallée a été réalisé. La Bièvre coule ainsi à 7 m sous les remblais.
 
Voici comment la Bièvre était recouverte à l'entrée dans Paris (1)

Alors comment retrouver sa trace dans la ville?
Un certain nombre d'indices existent ou ont été créés.
Nous avons fait un tour dans le quartier.

                                                                     
                                                                                                                             
Sur ce plan,  le ou plutôt les cours de la Bièvre dans le 13e Paris ont été tracés approximativement. En effet, deux bras se séparent à l'entrée dans Paris, un bras mort à l'ouest , qui est le cours d'origine; un bras vif à l'est , creusé sans doute au XVIIIe s, pour assurer un courant plus régulier aux moulins, au nombre de 7 sur Paris - moulin à blé ou à tan (ils broyaient des écorces) à l'origine. Ils se séparent à l'entrée dans Paris  et se réunissent en bas de l'avenue des Gobelins. La Bièvre traverse le 13e, le 14e et le 5e arrondissements. Notre balade concernera le 13e et le 14e arrondissements


CLIQUER SUR LE PLAN pour l'agrandir.



La Bièvre, après avoir traversé Gentilly, entre dans Paris par la poterne des Peupliers. On aperçoit ici un pont qui passait au dessus de la rivière autrefois (une rue l'a remplacée). La poterne des Peupliers se trouve un peu au delà.

Des noms de rues ou de lieux sont aussi révélateurs: comme ici le nom de cette rue. Autre exemple:le quartier Glacière, tout proche,  tient son nom de la glace venue des eaux de la Bièvre récoltée en hiver et utilisée pour conserver les aliments.

Un balisage par des plaques de ce type dans certaines rues  permet aussi au curieux de repérer le cours caché de la Bièvre.

Est-ce la Bièvre ? Non, mais on peut voir dans cet espace où a été aménagé une pièce d'eau dont les berges ont été pourvues de plantes aquatiques un clin d'œil à la Bièvre toute proche.


Nous rejoignons le boulevard Blanqui que nous allons traverser.

Autre point de repère : la courbe de certaines rues, comme celle-ci, s'expliquent par le fait qu'elles ont été construites sur le tracé de la Bièvre enfouie.

Cette plaque au sol en atteste.


Tanneries au bord de la Bièvre dans Paris 13e à la fin du XIXe siècle (1).


Ce groupe en visite dans le quartier se trouve dans le vaste square  René Legal,  créé en 1936 sur l'emplacement de l'île aux Singes, cernée par deux bras de la Bièvre. Ce nom vient du fait que les bateleurs laissaient leurs singes en liberté sur l'îlot. Le lit de l'ancienne rivière y est matérialisé par une allée d'arbres, à l'origine des peupliers. C'est l'un des sites, avec le square Kellermann ou les abords du Jardin des Plantes, où l'on pourrait assez facilement faire réapparaître la Bièvre à ciel ouvert.

Tiens, le cabaret de Madame Grégoire: il a vu passer bon nombre de célébrités comme Chateaubriand, Lafayette ou encore Victor Hugo...


La belle courbe de la rue Berbier du Mets, ainsi que celle du bâtiment qui la longe, qui n'est autre que l'arrière de la manufacture des Gobelins, nous rappelle une fois encore que nous sommes au dessus du lit de la Bièvre! Une inscription sur la façade rappelait que la manufacture se devait d'entretenir la Bièvre sur tout le tronçon de la rivière passant devant le bâtiment. Elle a bien participé aussi à sa pollution!
Cette aquarelle du début du XIXe siècle nous montre le même endroit du temps où la Bièvre y passait. On voit là aussi  l'abside de la chapelle de la manufacture.

Au passage, coup d'œil sur la superbe fresque murale qui orne ce bâtiment.

Après être passés devant le bâtiment du Mobilier National, nous découvrons le
palais de la Reine Blanche (à gauche), qui se trouvait sur une île de la Bièvre. A droite , on aperçoit une des mégisseries qui bordaient la rivière. Ce palais fut construit  au bord de la Bièvre au début du XVIe siècle par la famille Gobelin, propriétaire de la manufacture. Il tient son nom d'un château antérieur du XIIIe siècle, édifié pour Marguerite de Provence, sœur de Saint-Louis, et dans lequel sa fille Blanche de France, veuve de Ferdinand, infant de Castille ,résidera ensuite. Le château prendra ce nom au XIVe siècle, et après sa destruction, l'appellation restera.. Le blanc était aussi la couleur du deuil pour les Reines.

Nous gagnons ensuite l'avenue des Gobelins.

Au passage, nous admirons la façade monumentale de la manufacture  donnant sur l'avenue. Créée en avril 1601 sous l'impulsion du roi Henri IV, elle tisse toujours des tapisseries pour orner nos monuments nationaux. Ce premier bâtiment, qui constitue une galerie d'exposition, date du XIXe siècle.


On distingue au fond de la cour des bâtiments du XVIIe siècle

La balade sur les traces de la Bièvre peut également se poursuivre dans le 5e arrondissement voisin.

NB: suite à des fouilles archéologiques, on pense que la Seine , au centre de Paris s'est installée dans l'ancien lit de la Bièvre, suite à des inondations. En fait, primitivement, elle coulait plus au nord.Le lit initial de la Seine ne s'est pas asséché tout de suite, et un marais s'est formé entre les deux lits, d'où le nom de l'actuel quartier du Marais.
FIN.

Remerciements à Didier Rousselet, habitant du quartier, qui nous l'a fait découvrir.

(1) Merci à Stéphane Gautier  de nous avoir communiqué ces documents complémentaires (groupe Facebook: J'AIME LE HUREPOIX).


1 commentaire:

  1. Très bel article sur une rivière et son lit dont je découvre l'histoire !

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